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Au chat qui pète
23 novembre 2007

Six heures quinze

Six heures quinze. Je pousse la porte, j'entends sa respiration. Régulière, profonde. J'allume la petite veilleuse qui répand une atmosphère rose-fifille dans sa chambre. Elle est enfouie sous la couette, je pars à sa recherche. Elle est sur le ventre, ses cheveux noir étendus en corole autour de sa tête. Un bras devant elle, comme lancé vers le haut, l'autre symétrique derrière et en bas, les jambes fléchies. On dirait le cliché d'un sprinter en plein effort. Sous l'éclairage chaud de la veilleuse, sa peau mate est chocolat. Une gratouille derrière l'oreille, le rythme de sa respiration change, elle passe sur le dos et me fait son premier sourire de la journée.

Bisou sur le front, elle s'accroche à mon cou et cale sa tête sur mon épaule. Je la transporte jusque le table, la pause sur sa chaise. Les deux thés fument : noir au lait et sucré pour elle, vert et sans sucre pour moi. Le grille pain libère les toasts et Petite Fleur commence son incessant babillage.

Il lui a fallu trois semaines après son arrivée pour comprendre ce que nous lui disions. Elle n'osait alors pas encore parler et usait de mimiques pour se faire entendre. Au bout de deux mois, elle avait acquis un vocabulaire phénoménal et parlait couramment le moi je me veux vouloir manger avoir faim un pomme. Au bout de trois mois, elle avait atteint un niveau de langage correct et pataugeait allègrement dans les accords à la Népalaise : son voiture parce que c'est la voiture de papa. A l'évaluation de fin d'année, elle avait dépassé le niveau moyen de la classe.

Depuis, on ne peut plus l'arrêter de parler.

Six heures quarante-cinq. J'expédie une vaisselle rapide, et nous allons choisir ses vêtements. Attention, on n'habille pas mademoiselle comme on veut. Nous tombons d'accord sur des collants roses-fifille-foncés avec des petites fleurs plus sombres dessus, une robe sac à patate dans un pastel gris accordé avec un tee-shirt dans les même tons. Avec cela mademoiselle mettra ses bottes et son gilet. Ce matin ça s'est bien passé mais les négociations peuvent être longues. Je la laisse s'habiller seule, se brosser les cheveux, se passer sa petite crème et se brosser les dents. De mon coté je fonce à la douche.

Sept heures quinze. Elle a vu qu'il pleuvait des cordes et a sorti son parapluie. Et m'attend devant la porte, je ferme son blouson et nous partons. Les quais sont lugubres sous cette pluie qui tombe sans discontinuer depuis deux jours. J'aime néanmoins ce moment où quasi seuls dans les rues nous traversons une partie du centre ville à pieds. Peu de bruit, peu de voiture, et juste sa voix aigrelette qui me raconte qu'hier Cyprien lui a donné une noix à elle mais pas à Lou. Nous arrivons à la garderie en même temps que la demoiselle qui s'en occupe. Petite Fleur a le privilège d'aller allumer toutes les lumières. Je lui expédie une bise et je fonce à la gare prendre le seul train qui me permet ces temps-ci d'arriver à une heure décente au bureau.

Depuis une semaine Chère et Tendre est coincée à Paris. Certes, elle a eu une journée de repos qui lui aurait permis de redescendre chez nous - c'est ce qu'elle fait habituellement - mais là, en admettant qu'elle arrive jusqu'à nous en un temps raisonnable, elle n'était pas sûr de pouvoir repartir. Elle est donc restée coincée dans sa banlieue, incapable même de rejoindre les lumières de la ville. Depuis une semaine, je tords nos horaires pour essayer de les faire coïncider avec les quelques trains qui roulent, ceux de la baby-sitter et ceux de l'école.

Vingt heures dix. Je quitte la gare et me dirige à grands pas vers la maison. Le train est encore resté coincé à Lyon pendant vingt-cinq minutes sans explication. Je fulmine en pensant à Petite-Fleur avec qui je n'ai passé qu'une demi-heure aujourd'hui. En arrivant elle me saute au cou et me dit les yeux plein de reproches qu'elle a faim. Hier j'avais préparé une soupe, il reste des lentilles, je me transforme en Shiva et prépare le repas en mettant la table en répondant au téléphone en payant la baby sitter et à vingt heures quarante la soupe fume dans nos bols et Petite Fleur me raconte sa journée. Nous papotons joyeusement encore un moment, puis ses yeux s'étrécissent et se ferment. D'habitude elle est couchée à cette heure là.

Vingt et une heures. Elle se glisse sous les draps, me fait un énorme câlin et me dit qu'elle m'aime. Je lui dis que je l'aime aussi, que maman aussi, et que demain, normalement, elle sera là. Un dernier bisou, j'éteins la lumière et tire sa porte de chambre. A peine plus d'une heure avec elle aujourd'hui. Je m'en veux de ne pouvoir faire plus. Et en même temps, ces quelques instants passés ensemble sont tellement forts et doux qu'ils en deviennent précieux.

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Commentaires
L
@ Cécile : moi ce qui me vient c'est que tu les aimes beaucoup même en les voyant tant !<br /> <br /> @ La Féline : rrrrrrrrrrrrrrron rrrrrrron ! (bisous)<br /> <br /> @ Le Chat : que veux-tu, je suis un chat centreur de chats...<br /> <br /> @ Miss Line : j'ai confiance pour toi... tu as déjà fait un chemin fou non ? T'en rends-tu compte ?<br /> <br /> @ Flo : Certains regardent pousser les fleurs, et moi j'écoute chanter les Flo depuis quelques temps...<br /> <br /> @ Morena : buen viaje guapa ! (ou un truc dans le genre)
M
Juste une bise pour te souhaiter de bien profiter de ton week-end, et de ceux qui t'entourent.<br /> Je file. Pas loin, pas longtemps, juste histoire de me ressourcer.
P
La qualité dans les moments de ce temps volé au quotidien... et nous rêvons tous de ce qui devrai être plus qu'un luxe: avoir le temps de se poser ensemble et de regarder pousser nos fleurs @};-
M
Ca me rappelle le temps où il y avait deux petite tornades qui illuminaient notre quotidien. <br /> On culpabilisait de ne pas passer plus de temps avec elle, de les presser sans cesse, d'avoir trop de 'fais pas ci, fais pas ça" dans notre mode de communication.. <br /> Depuis, on ne les a avec nous que pendant les vacances scolaires. On ne sait plus trop comment les aborder. Elles changent si vite et bousculent le fragile équilibre qu'on tente de se créer sans elles tout le reste de l'année. Quand elles sont là, on arrête de respirer : on n'existe que pour elles. <br /> Les collants rose sont devenus trop petits. Les armoires se sont vidées. Les portes des chambres de princesses, fermées. Le sourire de leur père, envolé... <br /> Ton texte m'a bouleversé ...
L
La qualité (bien plus merveilleuse que la quantité...) est un art de vivre que je retrouve souvent ici... et ça fait du bien... ça recentre...
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