Et de six...
Le 6 juin
1988 j'entrais en informatique comme on entre en religion. La faute à mes
dix-huit ans qui - quelques années avant - m'avaient fait découvrir le nec plus
ultra de la techno de l'époque : la première calculatrice programmable censée
m'aider à passer mon bac. Je ne sais pas quelle fut son aide réelle à ce sujet,
mais toujours est-il que j'ai oublié mes envies d'architecture ou
d'électronique (mes choix potentiels d'avenir de l'époque) pour me jeter à
corps perdu dans cette discipline nouvelle où tout était à inventer :
l'informatique.
A l'époque
peu de monde savait ce qu'était réellement un ordinateur. On savait juste que
c'était très cher, très compliqué, mais on n'en voyait pas l'utilité réelle. Il
y avait bien quelques hurluberlus qui prédisaient que chacun aurait son
ordinateur personnel dans un avenir proche. Les sots ! Et à quoi ça servirait,
hein ?
Le 5 mai
2008, je remets dignement mon badge et mon téléphone professionnel à la DRH. Je
commence la tournée des bureaux ; alors, c'est vrai, tu t'en vas ? Quand ? Là ?
Maintenant ? Et tu as trouvé quelque chose d'autre ?
Oh oui, j'ai
trouvé quelque chose d'autre. 19 ans et 11 mois après avoir garé ma deuche sur
le parking de ce qui ne s'appelait pas encore une start-up, je rends mon habit
d’informaticien pour en endosser un autre. J’arrête de travailler avec les
machines et je commence à travailler avec des humains. J’arrête les procédures,
les méthodologies, les points projets, les mises en prod, les maintenances, TMA
et autres PMO, sans compter les DRP, RFP et RFI. Les kick off meetings, les
slides, les drafts et autres budgets forecasts, les policy waivers, les work
requests, les cases et autre roolback dead lines.
A partir de
demain, je parle humain, avec des humains. A partir de demain mes projets
seront ceux de mes clients, que j’accompagnerai dans leur réalisation. A partir
de demain mon métier c’est d’aider mes contemporains à faire des choix avec
confiance et en conscience. A partir de demain je ne dirai plus :
« il me faut un draft du diagramme des flux pour vérifier la compatibilité
avec les prérequis de sécurité » mais « en quoi puis-je vous être
utile ? ».
Et le nœud
du problème est là : l’utilité. Lorsque le soir en me couchant je suis incapable
de définir en quoi j’ai apporté quelque chose à quelqu’un dans ma journée, et
que demain ne verra pas d’amélioration de ce coté là, j’angoisse. Lorsque la
seule utilité de mon travail est de me rapporter de l’argent, je déprime.
Lorsque l’idée que je suis obligé de faire ça 20 ans encore m’assaille, je
panique. Alors que permettre à quelqu’un de prendre le chemin de réaliser un
objectif, un projet, un rêve, ça a du sens pour moi, ça donne du sens, ça me
remplit.
Cerise sur
le cadeau : à partir de demain je ne suis plus salarié. Je suis mon chef,
responsable de mes réussites et de mes échecs. Libre, responsable… et
heureux !
Voilà, ça y
est, la sixième vie du Chat commence…