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Au chat qui pète
2 janvier 2008

A cinq...

Elles étaient quatre copines. Quatre copines d'infortune qui affrontaient la vie en se tenant les coudes. Avec elles quatre, il y avait un bébé, une toute petite fille, un nourrisson. A eux cinq ils totalisaient vingt ans tout juste. Depuis quelques mois elles vivaient au milieu d'autres enfants dans les faubourgs de Katmandou. Elles étaient cinq presque inséparables, parce qu'arrivées à cinq un jour de mai. Elles venaient de différents horizons, avaient été ballotées, transportées, déplacées, bringueballées et avaient finalement échoué au milieu d'une trentaine d'autres gamins en errance qui trouvaient là un minimum de soins, de nourriture et d'attention.

Au plus chaud de la mousson, des étrangers ont commencé à arriver. Jusqu'au plus froid de l'hiver ils se sont succédés par couple, chacun tendant ses bras vers l'une d'elle. On leur avait dit qu'ils étaient leurs nouveaux parents et qu'ils prendraient l'avion un jour avec eux. Les étrangers venaient passer quelques jours puis repartaient en pleurant. La veille du départ ils répétaient bientôt, bientôt, bientôt, comme un mantra. Puis ils s'en allaient, et les filles levaient les yeux et regardaient les avions tout là-haut. Toutes les cinq allaient avoir une maman et un papa, toutes les cinq iraient en France, dans le même pays où elles pourraient se revoir.

Il y a presque un an, deux couples sont revenus. Ils ont serré très fort K. et M. dans leurs bras, et quelques jours plus tard ont embrassé les autres en disant bientôt, bientôt, bientôt. Les trois copines restantes ont beaucoup pleuré en voyant partir les deux autres qui ne savaient pas si elles devaient être heureuses de leur sort ou fondre en larme et hurler qu'elles ne voulaient pas. K. était sur mes épaules, les doigts plongés dans mes cheveux, M. dans les bras de François, tétant son pouce, ses grands yeux noirs rivés sur le visage de cet homme tout blanc qui l'emportait.

Deux mois plus tard, K. était devenue Petite Fleur et se débrouillait très bien dans sa nouvelle langue. M. crapahutait sur une moquette Genevoise et continuait à fixer ses grands yeux noirs et déterminés sur le monde. Au même moment à Katmandou un autre couple emmenait S. et répétait bientôt, bientôt, bientôt aux deux dernières, comme si ça pouvait les consoler.

Quelques semaines plus tard, un bureaucrate Parisien décidait que les conditions d'adoption au Népal ne respectaient pas la convention de La Haye et faisait un rapport en ce sens. Le rapport suivi le circuit administratif standard pour échouer sur le bureau d'un chef de cabinet quelconque qui y apposa sa signature, pour le bien des enfants.

T. et R. étaient désormais coincées à Katmandou, inadoptables, pour leur bien.

Pendant six mois, les deux familles se sont relayées pour assurer une présence auprès des deux fillettes, pour leur montrer qu'elles aussi allaient venir en France, qu'on ne les avaient pas oubliées. Un petit réseau s'était organisé autour d'elles, pour faire passer dessins, photos, cadeaux entre le Népal et la France. Un véritable pont aérien de sourires et de douceur qui pourtant ne pouvait masquer l'angoissante question : et si la procédure était cassée ? Et si la situation ne se débloquait pas ? En marge, les familles se sont regroupées et ont tenté d'alerter les opinions, les politiques, les influences. Mais l'adoption a mauvaise presse. Entre un couple qui part à l'étranger pour ramener un enfant et un kidnappeur le pas est vite franchi. Et l'actualité récente a très bien oeuvré dans ce sens.

A l'approche des fêtes nous avions peu de contacts avec les deux familles. Nous allions passer notre premier Noël de parents, eux attendraient encore pour vivre cela. Nous ne voulions pas étaler notre bonheur devant eux, aussi nous leur avions dit que nous pensions très fort à eux et à leurs filles mais ne voulions pas être trop présents. Nous avons réveillonné avec François et Sophie, les parents de M. qui maintenant sait dire non ! et trottine partout dans la maison. Petite Fleur et elle sont comme deux soeurs, c'est bon de les voir réunies de temps à autre. Et comme à chaque occasion, nous avons parlé de T. et R. et de leurs parents.

Ce matin je finissais mon thé en parcourant mes emails quand mon téléphone a sonné. C'était Chère et Tendre qui avait discuté avec les parents de S. et avait ainsi appris que T. était arrivée hier dans sa nouvelle maison et que R. arrivait la semaine prochaine. Ce Noël a donc été le premier de chacune des cinq. Deux l'ont fêté à Katmandou, les trois autres en France, toutes avec leurs parents.

Voila une année qui commence bien. Bienvenue à toi T., et à toi R. Et à très bientôt.

Et bonne année à vous. Que la vie vous soit un conte de fée...

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Commentaires
L
Je vous remercie pour ces témoignages, ces mots, ces souhaits.<br /> <br /> Elles vont bien, c'est dur pour elles car elles sont restées longtemps à l'orphelinat et le choc est violent. Elles vont s'habituer, doucement. Nous ne les avons pas encore revues. Il faut qu'elles s'adaptent à leur nouvelle maison, à leurs nouveaux parents, à cette vie étrange qui va être la leur maintenant.<br /> <br /> Merci encore. Belle année à vous.
O
Merci pour cette leçon d'espoir.<br /> <br /> ALlez c'est pas tout ça mais mon coeur de guimauve a cédé, je vais m'en aller quérir un mouchoir. Les contes de fées dans la vraie vie pas toujours jolie jolie me font toujours beaucoup d'effets.<br /> <br /> Bonne route à tous.
L
Contente de lire que toi aussi tu trouves que 2008 est une belle et heureuse année... du moins en son début...<br /> Je te souhaite du bonheur en étincelles pour chaque nouveau jour, chez toi et sur tout ceux que tu aimes !
R
Comme un conte de fées, mais avec la volonté, l'effort et l'investissement de tous les personnages.<br /> Et beaucoup de foi et d'amour...<br /> Je suis heureuse de ce dénouement.
Z
Quelle belle histoire , si émouvante, je suis heureuse qu'elle commence si bien. Je vous souhaite beaucoup de bonheur pour la suite...
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