Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Au chat qui pète
10 août 2007

La fille sur le pont

C’était le printemps qui précédait la canicule. Je l’ai croisée sur une passerelle qui enjambe la Saône. Nous nous sommes installés à une terrasse à proximité, un orage venait de s’achever. Deux menthes à l’eau. Nous sommes restés six heures. Elle m’a raconté ou plutôt, elle s’est épanchée.

La première chose qu’elle m’a dite, c’est qu’une semaine auparavant elle avait tenté de mettre fin à une histoire sans intérêt : la sienne. Elle s’était glissée en pleine nuit dans la Saône et tenté de boire le bouillon. Elle ne déprimait pas, elle était au-delà de la dépression, dans cet espace où plus rien n’a d’intérêt, cet espace psychique où abréger sa vie signifie davantage gagner du temps plutôt qu’échapper à une souffrance. Malgré la boite de cachets sensée l’aider à couler, elle avait regagné en rage la rive, puis sa chambre sous les toits, pour y continuer son existence.

Elle était maigre, trop maigre, elle oubliait de manger. Elle avait des cernes sous les yeux, elle oubliait de dormir. Elle passait son temps perchée sur son tabouret, les doigts sur le clavier, à vivre une vie parallèle, une vie vivante, mais sans issue. Elle avait laissé tomber ses études, n’avait aucune envie de bosser, n’avait pas un sou, plus d’envie, presque plus de besoins. Elle était seule, ou plutôt elle se rendait compte qu’elle ne comptait pour personne.

Nous nous sommes vus quasiment tous les jours. Je la nourrissais, l’écoutais, la faisais rire, la réchauffais, lui rendais des couleurs, des kilos, des envies. Pendant quelques semaines je suis devenu son père, sa mère, son frère, son ami.

Une fois un peu retapée, une fois que la petite lumière ait été de nouveau allumée dans ses yeux et ne vacillait plus, j’ai commencé à m’écarter d’elle, qu’elle réapprenne à vivre sa vie, qu’elle trace sa route. Elle n’a pas supporté.

Quelques semaines plus tard, alors que je n’avais plus aucune nouvelles et que je craignais chaque jour de voir son nom au rayon faits divers, je l’ai croisée dans la rue. Elle avait remis son vieil anorak, elle était maigre, la mine défaite. Mais au fond de son regard chargé de reproches il y avait de la douleur. De la douleur, donc de la vie, des émotions.

Par la suite, de loin en loin, nous échangions un mail, un coup de fil, un café. Elle a souffert, elle a ramé, mais elle a avancé, remonté la pente, doucement. Un jour elle m’a annoncé qu’elle avait un ami. Plus tard, qu’elle partait le rejoindre à Paris.

Demain sera pour elle un jour important. Demain, elle se marie.

Et moi je reste effaré du peu de choses qu’il faut parfois pour transformer une vie. Un peu d’attention, un peu d’amour, quelques douceurs, et la résilience peut se mettre en marche et redonner envie de vivre.

Demain sera pour moi un jour important. Aussi. Demain sera une fête, la fête de ces personnes qui par le passé m’ont tendu la main ou mis un coup de pied au fondement, et dont l’attention m’a donné envie de continuer, de ne pas baisser les bras.

Tous mes vœux t’accompagnent Hélène.

Publicité
Commentaires
C
Je me souvenais de ce texte, de cette rencontre... tu m'en avais parlé, un jour ou plutôt un bout de nuit, au téléphone... un petit coup de fil de quelques heures...
R
Touchant...
L
Merci à toutes les trois... Je sais pas quoi dire, alors... je dis rien !
M
... et elle a eu bien raison, la Saône, de ne pas avoir eu envie de cette jeune femme ce jour-là !
M
Tu as fait déjà tant de bien à tant de personnes, semble-t-il, cher Chat. A moi aussi. Et juste comme ça, au beau milieu d'un mois d'août fadasse, je profite de ce post pour te dire MERCI !
Publicité
Archives
Publicité